abc Jules Ferry

Chapitre n° 3 : Envoûtement.

Evans entra donc chez lui la peur au ventre. Il avança dans la salle commune sans faire un bruit. Sur les yeux, il enfila ses lunettes avec les filtres Infrarouge pour repérer même à travers les murs les sources  de chaleur dégagées par les humains. Aucune tache en bas, encore une fois personne. Il se détend un  peu quand, tout à coup, il entend à l'étage dans la chambre de ses parents des bruits de pas. Il se précipite alors vers l'escalier puis tourne à gauche vers la chambre et se retrouve devant la porte. Les lunettes marquent plusieurs formes de vie derrière cette porte cinq, non quatre, non trois, deux. Finalement Evans a peur de comprendre : sa famille meurt-elle juste derrière cette porte? N'y tenant plus, il l'ouvre à la volée. Et là, devant lui, il voit avec horreur son père enjamber le rebord de la fenêtre et se jeter dans le vide ! Il court pour tenter de le retenir, mais trop tard. Son père a déjà basculé dans le vide. Evans va droit sur la fenêtre s'attendant à trouver sa famille  écrasée au sol et là le spectacle qui s'offre à lui est des plus étranges. Son père d'abord se relève sans effort, sans douleur et plus loin sa mère ses frères et sœurs semblent comme endormis en marchant. Tous, les bras tendus en avant, ils se dirigent vers la décharge.  

Au loin, les autres habitants prennent visiblement la même direction, eux aussi les bras en avant comme des somnambules. Plus loin encore les habitants des autres villages font de même. En se posant mille et une questions, Evans descend les escaliers quatre à quatre. Il tente de rattraper ses parents. à la hauteur de son père, il saisit la manche de sa lourde veste de cuir. Mais la réaction de son père est loin d'être celle que le pauvre jeune garçon attendait. C'est à peine s'il se retourne et lui envoie dans le même mouvement une violente gifle qui l'envoie au sol, hébété. Un léger filet de sang coule le long de sa lèvre coupée par le choc. Mais le plus grand des chocs se passe dans son esprit ! Certes, son père est parfois sévère mais jamais jusqu'à ce jour il ne l'avait vu porter la main sur l'un de ses enfants. Evans crie, il appelle son père sa mère son frère, ses sœurs. Mais aucun ne répond. Tous continuent imperturbablement leur chemin vers la grande décharge. L'endroit où depuis tout petit Evans et tous les autres apportent tous les objets inutiles ou dangereux.    

«-Que vont-ils tous faire là-bas ? se demande Evans – Pourquoi ont-ils tous un comportement si bizarre. »

Ne pouvant se résoudre à abandonner ainsi sa famille, Evans les suit tentant tour à tour de les secouer pour leur faire reprendre conscience. Mais au mieux, il n'obtient aucune réaction. Ils continuaient à marcher vers cette grande décharge sans ralentir, sans un mot, les yeux fixés sur l'objectif. Ils étaient tous comme répondant à un appel silencieux. Evans ne sachant trop que faire les accompagna, marchant dans la peur les yeux embués de larmes qu'il tentait vainement de contenir. De toutes les directions, des hommes, des femmes, des enfants affluaient convergeant vers cette bien étrange destination. Tous silencieux les bras tendus vers l'avant, le regard perdu dans le vide. Au loin, Evans reconnut Monsieur Bernard et les enfants de son groupe d'apprentissage. Ils semblaient eux aussi envoutés, attirés inexorablement.

Une vingtaine de minutes suffirent à cette étrange assemblée pour parvenir à la décharge, un tas d'immondices de tous types au sommet duquel brillait une lumière intense et aveuglante, tout autour, des nuages si sombres qu'ils semblaient bleus marines convergeaient vers la source lumineuse. Là un bourdonnement se faisait entendre. Les êtres humains qui passaient sous cette lumière semblaient douchés et ressortaient de l'autre côté plus détendus et souriants. Rassuré Evans attendit le tour de sa famille et quand ils passèrent enfin l'effet fut le même. Ils se détendirent et retrouvèrent le sourire. Pourtant quelque chose dans leur attitude, dans leur regard était modifié. Ce qui inquièta immédiatement Evans qui s'aperçu aussi que chose incroyable… la couleur de leurs yeux était différente ! Aucun  des membres de sa famille, de ses amis ne sembla le reconnaître, pire encore, une voix grave venant de la source lumineuse demanda d'un ton qui ne supportait aucune contradiction.

« -Saisissez-vous de cet enfant, vite il n'est pas sensible à la possession ! »

Des mains se tendent aussitôt de tous les côtés pour attraper Evans, qui telle une anguille parvient in extremis à se faufiler dans la foule. Il prend alors ses jambes à son cou  et tente de s'enfuir et de se mettre à l'abri de ses poursuivants. Mais ceux-ci sont trop nombreux et déferlent de partout. Seule la présence de son sac à dos de survie lui permet de s'échapper. Il déclenche le bond de secours et se retrouve en un instant dix mètres plus loin. Puis sa connaissance des lieux lui permet de se cacher, il parvient ainsi à ne pas se faire attraper. Tout en observant de loin cette étrange population qu'il croyait si bien connaître.

Après quelques heures de poursuite infructueuse, les créatures ex-humaines se réunissent à la nuit tombée. Autour de la source de lumière, ils ramassent dans la décharge des débris métalliques. Puis ils fabriquent des armes inconnues d'Evans jusqu'alors !  De la source lumineuse, il récupère des cartouches d'une substance verte et gluante supposée permettre de convertir les humains qui résistent encore à la possession. Tout cela pour lutter contre notre pauvre Evans et d'éventuels autres résistants à la possession. Voilà maintenant notre héros traqué comme un animal dans une battue, poursuivit par sa famille, ses amis, nulle part à l'abri. Effrayé et en larmes, ne se voyant plus aucun avenir, Evans se pose mille questions. Après avoir retrouvé ses esprits et décidé à survivre à tout prix, Evans décide de prendre la fuite vers les ruines de la cité la plus proche. Vers trois heures du matin il déclenche le toboggan de secours de son sac de survie et descend de l'arbre où il s'était réfugié. Puis il prend la direction du soleil levant.

Mais il ne conserva qu'une très courte avance car, au loin, après quelques mètres, il entendit un cri d'alerte signalant qu'il était repéré. Pris en chasse il approche à grand peine des ruines de la ville dans une obscurité presque totale à peine éclairée par quelques étoiles assez puissantes pour briller malgré les nuages. Il pense encore parvenir aux ruines quand il reçoit un violent choc dans le dos. Il s'écroule alors au sol, s'apercevant qu'il avait reçu une cartouche de la matière verte susceptible de le posséder.  L'effet est immédiat, Evans se plie en deux et se tord de douleur avec une violente envie de vomir, son dos et ses bras commence à le démanger d'une façon insupportable. La poursuite s'arrête car les envahisseurs attendent l'effet de leur arme sachant qu'ils l'avaient touché.

            Pendant ce temps au sol, Evans continue à souffrir horriblement, il lui semble que sa peau s'arrache et que ses os sortent, il hurle mais le son qui sort de sa bouche est plutôt celui d'un grognement d'animal primitif. Il se redresse difficilement et se tourne vers ses agresseurs, deux villageois qu'il connait bien au regard effrayé. Ils tremblent sur leurs jambes et chose inattendue, ils partent en hurlant. C'est à ce moment en passant les « mains » devant ses yeux qu'Evans comprend leur frayeur. Le produit qu'il a reçu a transformé Evans en une Chimère monstrueuse avec des ailes membraneuses telle une chauve-souris de près de trois mètres d'envergure, des pattes de lions aux griffes acérées, un corps plastronné comme celui d'un rhinocéros et une tête munie d'un bec pointu et tranchant comme celui d'un aigle. Mais comment cela est-il possible ? Evans la chimère se réfugie alors dans les ruines d'un immeuble au cinquième étage, en priant fermement pour se réveiller de cet horrible cauchemar.